OLIVIER CAUDRON, RESCAPÉ DU ROCK
Article Le monde. Édition du 15 juin 2005. Gilles Van Kote.
TENDANCE FLOUE/ PHILIPPE LOPARELLI
À la fin des années 70, il avait fondé Lili Drop, avant de tenter une carrière solo sous le nom d'Olive. La drogue a eu raison de ses ambitions.
Quinze ans après avoir tout lâché, il revient pour un concert.
C'est une histoire très rock and roll, une histoire de filles, de drogues, de sommets entraperçus, d'abîmes inracontables, le tout sur fond de guitares énervées. L'histoire pas très drôle d'Olivier Caudron, ex- enfant terrible du rock français de la fin des années 1970, sous le surnom de Lili Olimao, ex-espoir de la musique hexagonale, quand il se faisait appeler Olive. Le même qui a choisi, en 2005, de se rebaptiser Lovliv pour former une nouvelle mouture de Lili Drop, groupe dissous en 1983, et remonter sur une scène parisienne, au Point Ephémère, mercredi 15 juin, presque quinze ans après avoir cessé de donner des nouvelles.
Olive a participé à la gestation de Téléphone, a lancé Enzo Enzo quand celle-ci s'appelait encore Korin, a été percussioniste pour Valérie Lagrange, a fait la bringue avec Daniel Darc, ex-Taxi Girl, et a sorti trois albums, deux avec Lili Drop (jamais réédités en CD), le dernier en 1990 sous son propre nom. Aujourd'hui, à 49 ans, il vit dans un studio de 12 mètres carrés, rue Fontaine, à Paris, à deux pas de la place Blanche et du Bus Palladium, entre deux bars à hôtesses.
C'est une association de prévention, Siloé, qui lui a trouvé la chambre. 'Je peux aller au local de l'association pour laver mon linge, avoir accès à Internet, recevoir du soutien', dit-il. Olive est séropositif depuis 1985 et vit des 580 euros mensuels de la Cotorep (commission technique d'orientation et de reclassement professionnel). Il arrive rarement qu'un chèque lui parvienne de la Sacem, qui lui assure encore une couverture sociale, grâce à son 'comité du coeur' , qui aide les sociétaires ne pouvant plus cotiser.
Pour assurer les répétitions en vue du concert du 15 juin, Olive a mis entre parenthèses son traitement contre l'hépatite C, qui le mettait 'par terre'. 'Je suis angoissé, stressé, je me réveille à 4 heures du matin les jours de répétition, dit-il, mais au fond tout ça me fait du bien, c'est du bonheur et du plaisir.'
Ses vieux copains ont promis d'être là, à l'heure de ce retour inespéré : Enzo Enzo et Violaine, les complices de l'époque Lili Drop, Jean-Louis Aubert, qui s'est décarcassé pour lui trouver une guitare électro-acoustique, François Ravard, manager naguère de Téléphone, des Rita Mitsouko, et aujourd'hui de Marianne Faithfull, celui qu'Olive, il y a trente ans, entraînait sur les toits de Paris pour se glisser sans payer dans les salles où Patti Smith ou les Stones se produisaient en concert.
Comme si ces enfants du rock, aujourd'hui adultes, venaient prendre des nouvelles du plus fou d'entre eux. La plupart ont fait carrière, lui s'est égaré en route, n'a fait que frôler le succès, comme avec Sur ma mob, ce premier 45-tours de Lili Drop qui se vendit à 35 000 exemplaires et dont les textes faussement gentillets parlaient d'une 'ligne blanche' à double sens.
'Peut-être qu'il n'était pas assez rigolo pour l'époque, un peu trop complexe' , s'interroge Enzo Enzo. Mais aussi 'incontrôlable' et drogué, accro depuis l'âge de 14 ans. 'Coke, héroïne : la totale de la rock star qui se mérite, en plein dans la mythologie, ironise-t-il aujourd'hui. Je suis un survivant. Quand Jean-Louis -Aubert a décidé de faire carrière, moi je ne pensais qu'à me marrer et à me défoncer.'
Olive et le futur leader de Téléphone s'étaient rencontrés à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), où ils habitaient tous deux, avaient fréquenté les bancs du lycée Pasteur et porté l'uniforme des scouts, 'ce qui leur permettait d'avoir un local pour trafiquer les mobs et faire de la musique' . Ils avaient monté ensemble leur premier groupe, Masturbation. 'Jean-Louis m'a appris à jouer de la guitare, je lui ai fait fumer son premier joint' , résume Olive.
En 1976, celui-ci participa à l'élaboration des premiers morceaux de Téléphone, avant de voir le groupe se constituer sans lui. 'Il était évident qu'Olive n'aurait pas tenu le coup, témoigne François Ravard. Il était tellement compliqué, hystérique, énervé et défoncé en permanence...' Olive ne se braqua pas pour autant, et c'est en allant aux concerts de Téléphone qu'il rencontra la future Enzo Enzo, qui y travaillait comme éclairagiste, et lui proposa de devenir la bassiste de Lili Drop (drop pour 'poudre' ).
'Il avait un côté attachant, enfantin, hyperfragile, et jouait là-dessus, raconte- t-elle. C'est un fou, un rêveur : il fallait ça pour monter un groupe avec deux filles qui ne savaient pas jouer et écrire des textes qui parlaient de sexe et de drogue sans que ça se voie.' S'il reconnaît avoir 'nourri de la jalousie par rapport à la réussite des autres' , Olive affirme avoir surtout souffert d'être rejeté par son propre milieu dans les années 1980. 'On me regardait comme celui qui ne s'en sortirait jamais. A partir de 1985 et de l'arrivée du sida, beaucoup ont arrêté. Daniel - Darc - et moi, on était les derniers rebelles. Il y a eu des périodes où j'étais toxique pour les autres, où je leur faisais peur. Je souffrais d'être l'épouvantail, le mec indécrottable...'
Né d'un père vietnamien 'un peu barbouze' , qu'il n'a connu qu'à 20 ans pour aussitôt le reperdre de vue, élevé un temps par ses grands-parents maternels, des notables rémois, Olive plonge dans une enfance chahutée les racines de ce penchant pour l'autodestruction : 'D'avoir été séparé de ma mère très jeune, ça m'avait rendu jaloux, violent, excessif. Le rock, la junky attitude allaient avec ça.' Sa carrière solo s'y perdit. En 1991, Olive raccroche.
La période n'était pas vraiment propice à la création. Olive n'a plus fait parler de lui. Jusqu'à ce retour à Paris, en octobre 2004. Toujours cabossé sentimentalement, un peu abîmé physiquement, il reconnaît avoir remonté Lili Drop 'parce que ça pourrait déclencher quelque chose' . Depuis un mois, il prend des cours de chant. 'C'est thérapeutique', dit-il.